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Sans Feuille D'Origine

Sans Feuille D'Origine
  • J'ai créé Sans Feuille D'Origine à l'âge de 11/12 ans, dans la permanence du collège, pour tuer le temps. Par amour des mots, l'écriture automatique se déversait ainsi en caractères noircis, parfois raturés, sur des dizaines de feuilles volantes.
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Sans Feuille D'Origine
Derniers commentaires
23 avril 2007

Un bout d'étoile

C’est un petit champ de coquelicots pentu où coule une rivière, plus loin. Le ronronnement apaise, l’eau s’écoule, cristalline. Au fond, des galets pâles, gros comme un poing d’enfant et lisses comme la peau d’un nouveau-né.

 Près de là, une petite fille joue, blonde avec de grosses boucles, le ventre potelé, les mains sales de poussière, la robe un peu froissée. Elle connaît la rivière et le champ qui borde son jardin, à quelques mètres de là. La fillette serre dans ses bras un gros lapin blanc en peluche. Elle le taquine, souvent.

 Elle le lance en l’air, le rattrape, rit, le relance plus haut, rit encore, le rattrape à nouveau, le berce. Elle court vite à travers champ, la peluche dans ses bras. Les coquelicots près d’elle sont des petites tâches écarlates.

 Elle court à toute allure vers la rivière. Ses joues sont rouges de plaisir, elle a chaud. Près de la rivière, elle s’essouffle un peu, reprend ses esprits et décide de s’assoir, là, à l’ombre d’un saule, sur la pente, au bord de l’eau. Elle s’allonge, son lapin dans ses bras. Elle lui parle comme à un ami. Doucement, elle lui parle ; les minutes s’écoulent, goutte à goutte, près de l’eau, lit ronronnant. La brise, douce sur sa peau d’enfant, chante dans les branches du saule et l’endort. Elle relâche un peu sa peluche pour mettre son pouce dans sa bouche. Ses joues ne sont plus si rouges. Elle est bien, apaisée.

 Elle n’entend pas le lapin blanc rouler. Elle ne le voit pas, elle dort. Il tombe près de la berge, plonge, doucement, sans un bruit. Il flotte un peu, se gorge d’eau pure. Il semble caresser la surface, tendrement, d’une patte de velours.

 Plus tard, l’enfant s’éveille, s’étire, baignée de la chaleur douce du soleil couchant. Elle bat des paupières, rassemble ses esprits, rit un peu de s’être endormie, comme ça, sans prévenir. Elle cherche sa peluche, tâtonne. Une lueur de panique assombrit son regard quand elle ne la trouve pas. Elle se lève d’un coup, vibrante, tendue comme un jeune bambou. Elle appelle, cherche, tourne, fouille, crie.

 Soudain, elle comprend. L’eau près d’elle ne lui délivre pas son secret, et pourtant, elle sait. Il est là, quelque part, bercé de fraîcheur.

 Les larmes tombent, silencieuses. Elle reste debout, un peu perdue, avant de l’apercevoir, dans le fond, près des galets scintillants d’étoiles. Elle sourie, alors. Il sera toujours là, près d’elle. Des myriades de couleur la chatouillent, éclatent au soleil comme de petits arcs-en-ciel.

 


Pour Yoda, près des étoiles, et pour ma soeur.

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16 avril 2007

Au petit matin

            La tête entre ses mains, prisonnière des barreaux ternes de son esprit, Astrée monologue. Elle passe sa langue sur ses lèvres puis, de ses dents lisses, les mordille en levant les yeux au ciel. Envie de nouveauté, de cheveux coupés, de rouge sur les joues, de photos de catalogue. De tout son long elle s’étire, baragouine des mots perdus, litanie insensée de phrases teintées de miel.

Son corps malaxé, poreux, suintant d’effluves masculines, continue de l’enivrer et menace sa raison de la perdre. Elle a un peu froid, ainsi nue, offerte au moindre souvenir de la nuit dernière. Elle roule sur elle-même, emporte un peu les draps, s’enlace dedans, bougonne, rit, enfin. Des mèches de cheveux lui tombent devant les yeux.

Sur le parquet s’étalent au p’tit bonheur sous-vêtements soyeux, jupe de soie noire, corsage en dentelle et encore talons aiguilles haut de gamme. Sur la table basse, deux flutes à champagne, à moitié vide. L’une d’elle porte des traces d’un rouge à lèvres coûteux. A côté, une coupelle remplie de fraises.

Astrée observe.

Elle a des courbatures et ferme les yeux, savourant la moindre parcelle de mal en elle, preuve vivante qu’une fois de plus, on l’aime.

On l’aime.

C’est si doux, si tendre à penser. Dans la pointe du jour naissant, emmêlée de percale blanche chiffonnée, ourlée de dentelle, Astrée ferme les yeux, mordille encore un peu plus fort ses lèvres, imagine.

L’homme admire, l’home pense, l’homme a envie, l’homme revient. Peut-être pour sa bouche en cœur, ses seins blancs, son ventre rond, petit centre du monde. Peut-être pour sa grâce, sa courbe de reins, son élégance, son parfum. Peut-être pour son esprit, ses valeurs, son caractère imprévisible, sa sensibilité à fleur de peau.

Peut-être.

Et dans son étreinte, l’homme lui murmure qu’il ne voit qu’elle, qu’il ne part plus, que son monde est là, auprès d’elle. Ses bras l’empoignent, son souffle devient rauque, ses mains la cherchent, vibrantes.

Le soleil matinal illumine ses cheveux de reflets acajou. Il inonde la pièce, caresse le parquet. Astrée soupire. Elle sait au fond d’elle qu’une fois de plus, il ne reviendra pas. Elle mordille ses lèvres jusqu’au sang, tâche le drap blanc d’une goutte écarlate et s’en fiche.

Elle retourne dans sa prison cérébrale où elle le retrouve enfin. Elle continue : elle imagine.

11 avril 2007

Etoile de mer

C’est peut-être une envie fugace de s’éclipser, de partir au loin pour mieux l’imaginer les yeux fermés. Loin du bruit, loin de la pollution, loin des vapeurs de la ville fumante, un peu plus près du Paradis. On ne sait jamais ce qu'un ange peut penser, au Paradis.

         

Si seulement.

Au cœur du bout du monde, tout près du ciel, au creux de la mer. Je l’ai cherché, cherché en vain. Gratté des petites montagnes, retourné quelques rochers, lapé quelques rivières. En rêve, je l’apercevais, au réveil, elle m’échappait. Si lisse, si pure, si ronde.

Un minuscule grain de soie à travers le brouillard épais. Au loin, toujours dans la mer. Et moi je cherche, cherche, cherche en vain.

Le bois est en cendre, lueur de lune, éphémère. Et l’eau de la mer, si froide, si pure.

Si seulement...

J’ai fini par la trouver. A travers un dédale de rues emmêlées, le chemin s'offre, là, droit devant, mystérieux cadeau du ciel. Et au détour d’une fleur, ourlée de crème, l’eau a giclé.

Une éclaboussure.

Une flaque d’écume.

Je la vois : c’est juste une petite perle irisée de soleil.

28 février 2007

Histoire d'un clown triste

Pour un concours de nouvelles.

Impératif ; doit faire moins d'une page et insérer les mots suivants : abricot, amour, bachi bouzouk, bijou, bizarre, chic, clown, mètre, passe-partout, valser.

* * * * * * * *

Elle tressaute, dans son sommeil. P’tit Gus l’observe d’un œil critique en croquant un abricot, petit bout par petit bout.

- Elle est mignonne, hein ? demande Grand Gus en caressant la petite boule de poil. Un véritable amour.

Le chaton émet un miaulement chétif et passe une patte sur par-dessus sa tête, gênée par le bruit des voix.

- Elle s’appelle comment ? répond P’tit Gus. C’est vrai qu’elle est toute mignonne ! J’aime bien sa couleur un peu passe-partout.
- La couleur, on dit que c’est une écaille de tortue. Elle s’appelle Bachi-bouzouk.
- Mais ce n’est pas un prénom de femelle, ça ! proteste le garçonnet.
- Il est vrai. Mais tu ne le trouves pas rigolo ?
- Un peu bizarre quand même, Bachi-bouzouk. Et puis c’est un prénom de chat, pas de chatte. Pourquoi pas Tigresse, Veloutée, Betty Boop ou Croquette ?
- Ce serait trop facile. Regarde bien son pelage. Elle a une étoile blanche sur le front, on dirait un petit bijou, c’est vraiment ravissant ! Et puis elle est si douce qu’on la mangerait.
- Je peux la prendre dans mes bras ?
- Bien sûr. Mais fait attention.
- Oui, Papa, répond P’tit Gus.
- C’est un bébé : il ne fait pas faire de mal aux bébés.
- Oui, Papa.
- Et si tu promets d’être sage, elle est pour toi.
- Oh, c’est vrai ? Chic, chic, chic ! s’exclame P’tit Gus, débordant de joie. Bachi-bouzouk est à moi ! Bachi-bouzouk est à moi !

Son père l’observe et sourit. Le petit clown ne mesure pas plus d’un mètre trente de hauteur. Si pur, si candide. Comme tous les enfants, un peu sale, un peu débraillé. Son sourire devient carnassier.

- Dis Papa ?
- Oui, P’tit Gus.
- Je dois faire quoi pour être sage ?
- Viens, P’tit Gus, approche. Je vais tout t’expliquer. Viens valser dans la salle de bain avec Papa.

4 février 2007

Toi Emoi.

Comme une mouche posée sur ta bouche
Petit grain de peau chocolat
Vois, tout près de toi je me couche
Comme une mouche posée sur ta bouche
Que d’un doigt j’effleure et je touche
Amoureux fou de ta peau, là :
Comme une mouche posée sur ta bouche
Petit grain de peau chocolat.

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30 janvier 2007

Extrait de "Vue d'enfant, vie d'adulte"

Voilà, il recommençait. Pourtant je faisais tout pour ne pas entendre. Mes mains plaquées sur mes oreilles, je me tenais à genoux, dans ma chambre, fermant les yeux très forts et priant ma bonne étoile. Je l’entendais, pourtant. Il recommençait.

Je devais prendre mon courage à deux mains… Malgré la peur qu’il m’inspirait. Je décidais alors d’aller sans faire de bruit, le plus doucement possible, près de la rampe du haut de l’escalier, pour l’écouter.

Des raclements. De la vaisselle brisée, suivie de cris rauques. J’avais une peur terrible d’apercevoir l’irréparable, et pourtant, oui pourtant, mes yeux étaient grands ouverts. Je n’avais pas envie, pas vraiment, mais je devais voir… Je devais le voir pour m’en rendre compte. Il allait peut-être se faire mal, il allait peut-être dormir sur le sol, comme ça lui arrivait parfois.

La maison était vide, hormis Papa et moi. A pas de loups, je descendis l’escalier de bois, tout doucement pour ne pas le faire craquer. Je l’entendais parler tout seul. Ses mots étaient saccadés, ses phrases indistinctes. On aurait dit qu’il avait quelque chose dans la bouche. J’ai pensé à du coton. Comment pouvait-il avaler du coton ? Et puis j’ai compris. Il n’y avait pas de coton, sa voix s’était transformée avec l’alcool et les médicaments. Pâteuse, un peu étouffée, et plus grave qu’à l’ordinaire. Ce n’était pas la voix de mon Papa, ce n’était pas la même voix que d’habitude. Pourtant, elle y ressemblait étrangement…

En bas de l’escalier, toujours à pas feutrés, j’avançais méthodiquement, pas à pas, les jambes flageolantes, le cœur cognant fort dans ma poitrine. Les bruits de verre continuaient ; ça clique tiquait par saccade, et puis soudain, un rire dément se fit entendre. Le serpent de la peur glissa le long de ma colonne vertébrale, et un goût de bile me vint dans la bouche. Je plaquais mes mains sur mes lèvres, les deux, très fort. Et je continuais d’avancer. Je longeais le mur crépis blanc, les yeux remplis de terreur, m’attendant à chaque instant à trouver mon Papa agonisant.

Je le vis soudain, éclat de cauchemar.

Allongé sur les carreaux de la cuisine, nu, la tête renversée sur le côté, presque sous la table. Il essayait de tourner son visage et de se relever mais n’y arrivait pas. Il fouettait l’air de ses bras, tentant désespérément de se mettre debout. Et il riait, riait, à gorge déployée. Quand il ne riait pas, il mâchait des mots indigestes, la bouche cotonneuse grande ouverte, un filet de bave coulant sur son menton, l’haleine empestant l’alcool et les gitanes. Autour de lui, de la vaisselle cassée était éparpillée, créant une auréole de porcelaine de part et d’autre de son visage. Il ne semblait pas s’en soucier, il continuer de fouetter l’air de ses bras, parfois de ses jambes, et sa nudité formait un tableau tellement grotesque que ma peur disparue, laissant place à un profond sentiment de colère.

Je me précipitais vers lui en hurlant :

« Papa ! Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu es malade ! Vas dans ton lit !
- Bé… Dou… ? ‘Ai cass…ssé… la vaièlleeeee… Les… ailletteeeees sont… cass…ssées…
- Je vois que les assiettes sont cassées ! Mais s’il te plaît, va te coucher ! S’il te plaît !
- ‘E… peux… pas, Bé…Dou… »

J’allais vers lui, et bien que son corps rempli d’alcool me répugnait, décidée, je le tirai par le bras pour l’aider à se relever. Peine perdue. Il était trop lourd pour moi. Je devenais rouge à force d’essayer, et Papa finissait par rire de son rire de dément avant de retomber lourdement sur le carrelage, s’enfonçant par ci par là de minuscules morceaux de porcelaine dans son dos nu.

Ma tête bourdonnait, je pensais à toute allure. Maman, que va dire Maman ? Et si je n’y arrivais pas ? Et s’il avait avalé trop de comprimés ? Et s’il allait vomir ? Ou pire encore… Je ne voulais pas trop y penser, mais c’était plus fort que moi, tout tournait autour de moi. J’avais l’impression de tomber dans un gouffre sans fond.

Partir, partir loin… Sortir de la cuisine, se retrouver sur la terrasse, courir au fond du jardin, aller retrouver mes pigeons, prendre Noiraud, le laisser se blottir dans mon cou… Ou simplement écouter les cigales, assise, comme d’habitude, sur le tronc d’arbre coupé, avec mon livre sur les genoux. Et puis, enfin, savourer cette fin de journée de printemps qui avait si bien commencé. Oublier, en somme… Se serait si facile ! Impossible. Voilà le mot qui me trottait dans la tête. Impossible, c’est impossible d’oublier. Ce sera à jamais dans ma mémoire, noir sur blanc, coincé dans mon cerveau sans option de retour. Papa nu, affalé sur le sol, la tête entourée de vaisselle brisée, gigotant et riant comme un nouveau né, les yeux fous.

6 juillet 2006

Ce que cache la nuit

Le cœur chauffé à blanc, le vice se dessine dans ses yeux mauves. Là, allongée sur le sol, les jambes repliées sous son menton, les lèvres entrouvertes, elle se perd dans son abîme cérébral, savourant la moindre parcelle de rêve qui s’immisce en elle, honteuse, humiliante, tremblante, enfin. Et elle se laisse aller, douce vipère, archange maudit, dans une de ces nuits sans fin qui la ronge toute entière. Au comble des délices, elle s’endort au petit matin, des cernes sous les yeux, les mains molles, le corps fatigué, inerte. Elle sourit alors à la pointe d’aurore qui perce entre ses rideaux, heureux présage du jour nouveau, avant de sombrer dans un sommeil de plomb alourdit encore de rêves étranges, sensuels et nourrissants, au parfum tendre du souvenir.

29 mai 2006

Famine

Manger la peau, la peau douce, manger la bouche, la bouche rouge, manger les yeux, les yeux soyeux, manger les mains, les mains fines, manger le cou, le cou blanc, manger la gorge, la gorge pure, manger le ventre, le ventre de velours, manger les cuisses, les cuisses entrouvertes, manger les pieds, les pieds si menus, puis manger tout, toujours.

22 mai 2006

Les Coquelicots

Tout arrive si vite qu’elle n’a pas le temps de voir son agresseur. Légèrement ahurie, un peu tremblante, elle pousse à peine un léger cri, malgré la douleur. Au même moment, son pied se tord, son corps se dérobe. Le coup de poing la cueille au bord de la lèvre, sur le côté gauche. Ou serait-ce le droit ? Bordel, on s’en fout !

Elle se retrouve là, par terre, la culotte baissée, la gueule éclatée, et elle ne pense à rien d’autre qu’à un champ de coquelicots. Un champ immense, parcouru d’une brise douce, une brise parfumée comme au petit matin d’été, quand le soleil vient juste de se lever. Elle a mal. Elle a froid. Elle sent de l’air glisser entre ses jambes, et ça lui fait l’effet d’un glaçon. Elle a la chair de poule. Un second coup de poing lui enfonce la paupière, la droite, cette fois. Son œil pleure tout seul, sa vue se brouille. Elle n’a même plus la force de pousser un cri. Elle voit des coquelicots, du rouge, partout, tout autour d’elle. Ce goût métallique lui rappelle l’eau qui s’échappait du vieux robinet rouillé du jardin, dans l’ancienne maison de son grand-père, pas loin d’ici.

Elle se revoit, accroupie, les genoux crottés de terre, entrain de rire aux éclats, pendant que son oncle fait le pitre, juste à côté d’elle, pour l’empêcher de boire. Elle est là, riant tellement qu’elle en a mal aux côtes. Le goût métallique s’intensifie soudain, et elle avale, elle avale. Ce n’est plus de l’eau, c’est du sang, le sien, qui continue de couler, qui menace de l’étouffer. Le dernier coup de poing s’abat sur ses seins, les aplatissant sèchement. Elle ressent une douleur diffuse, horrible, dans sa tête, son ventre, ses reins. Ses cuisses ramollissent, elles se dérobent sous elle, pauvres spaghettis mal cuits. Elle se revoit courir dans le champ de coquelicots, sa casquette s’envole, son oncle la ramasse, s’enfuit avec, et elle, elle rit toujours en lui courant après, de plus en plus vite, pour le rattraper. Elle l’appelle par son nom, le supplie, les yeux pleurant, tellement elle se tenait les côtes de rire.

Une main la pénètre violement, elle se détache, pense au champ rouge, des coquelicots, du vent, de l’eau, des coquelicots, du vent, de l’eau. Du vent, de l’eau… Des coquelicots… Sa vue se brouille, les larmes coulent, cette fois encore, mais de douleur. Son oncle ralentit le pas, se retourne, la prends dans ses bras et l’élève haut dans le ciel, d’ailleurs, il est vraiment bleu, le ciel, si bleu qu’il en est irréel. Elle lève les bras pour toucher la voûte céleste, grogne un peu pour imiter le bourdonnement sourd d’un moteur d’avion, avant de rire à nouveau, à gorge déployée. Son oncle sourit aussi, une lueur malicieuse dans les yeux.

La main la fouille, profondément, elle a l’impression qu’on vient d’enfoncer un couteau et qu’on tourne, on tourne, sans pourvoir s’arrêter. Son oncle la fait tourbillonner, là-haut, près du ciel, il la fait monter puis descendre à une vitesse folle, les coquelicots virevoltent autour d’elle, tâche écarlate dans l’azur, lointain. Elle entend distinctement le grognement, maintenant, et ce n’est plus elle, non, c’est lui, cet homme, cette bête immonde, qui est sur elle, son souffle près de son cou, ses mains sur ses seins meurtris. Le couteau tourne en elle, l’écorchant, la brûlant, l’éreintant. Le couteau glisse mal, fait des va et vient meurtriers, une main se plaque sur sa bouche, écrasant un peu plus ses lèvres où les plaies sont ouvertes, à vif.

Le champ de coquelicots disparaît peu à peu de sa vision, et elle lutte, oh oui elle lutte, pour le faire revenir, pour échapper à ce monstre, là, en elle, qui va, qui vient, grognant, sans fin. Elle se décide à ouvrir les yeux. Elle le voit, sur elle, vision cauchemardesque, vision d’horreur. Ses traits sont déformés par la rage de ne pouvoir la posséder. Il croise son regard, la foudroie d’un battement de cil avant d’enfoncer profondément ses ongles dans sa chair. Elle, a ses yeux agrandis d’épouvante en reconnaissant son agresseur, cherchant à comprendre.

Les coquelicots reviennent à sa mémoire furieusement, emplissant les moindres recoins de ses souvenirs, imprégnant chaque parcelle de son corps de cette couleur rouge, saignante. Il est là, en elle, mais il ne rit plus, son visage est tordu par la haine, le désir, l’impuissance. Il est là, pétrissant ses seins, enfonçant ses ongles, soufflant bruyamment dans son cou, d’un souffle rauque de taureau, humide, chaud, putride, asphyxiant.

Et tandis que le couteau la pénètre, en bas, il en sort un vrai, plus haut, tranchant ainsi sa gorge blanche de pucelle, faisant frémir d’un gargouillis sanglant la plaie béante. Le rouge vire au noir. Elle ne voit pas son oncle essuyer la lame, avant de la replonger, encore et encore, dans ce même trou noir, avant de l’abandonner, déculottée, agonisante, au bord du chemin de terre où s’étendait, des années auparavant, un champ de coquelicots, rouge flamboyant.

21 mai 2006

Le Livre

La voilà, cette boutique si longtemps chérie. Elle s’arrête longuement devant la devanture, en dévore chaque coin, avant de se lancer dans la contemplation des œuvres paradant, orgueilleuses, en plein milieu, sur des tapis si fin qu’on dirait des tapis précieux, fait de soie ou de brocart.

Elle n’ose pas rentrer tout de suite, soudain timide, se mordillant les lèvres, indécise. Puis, dans un effort ultime, elle ose, avance un pied, puis l’autre, pousse la porte carillonnante et lance un fameux « Bonjour ! » à la personne sans âme qui se trouve à l’accueil, inconsciente du trésor dont elle est l’unique gardienne.

Elle continue d’avancer, mais s’arrête bientôt, ivre soudain de cet amas de richesse, qui s’étale là, à perte de vue, sur des étagères jaunies un peu poussiéreuses. Elle ne sait où donner de la tête, regarde à droite, puis à gauche, en haut, puis en bas, cherchant la perle au milieu de ces huîtres baignant dans la nacre.

Au bout de plusieurs minutes seulement elle ose s’approcher, elle ose les frôler, avant de les toucher à pleines mains. Elle aime caresser la peau des livres. Cette peau lisse, froide, rêche ou douce, en noir et blanc, souvent en couleur. Les titres gros et gras l’interpellent toujours, ils illuminent ses yeux d’étoiles infinies, de clignotements intempestifs. Elle tremble un peu lorsqu’elle se risque, enfin, à en prendre un en main, pour le secouer doucement, comme pour en faire tomber de la poussière vive, et elle rit de se voir si bête, l’enfant, elle rit de l’avoir dans ses mains, si petit, si menu, mais parfois grand, épais, dominateur, toujours puissant, un mâle, enfin.
Les lettres se dessinent comme de véritables œuvres d’art, la police changeante, le dessin pénétrant. Elle ne peut s’empêcher d’entrouvrir sa bouche qu’elle a rouge de plaisir, absorbée dans la contemplation de cet objet si pur, longuement pétri par l’auteur, un pain de luxe, assurément.

Elle le presse contre son cœur, parcours la quatrième de couverture avec attention, vertueusement, comme une épouse dévouée à la toute puissance de son homme, soumise, d’amour éperdue.

En se décidant pour l’un d’eux, fière concubine, elle passe à la caisse, riante, les joues cramoisies, maîtresse enfin de cet objet si convoité, qui lui chatouille la paume des mains. Et c’est là enfin qu’elle révèle sa possession, dans un sentiment grandissant de domination envers ce male, qu’elle s’apprête à dévorer tout entier, une fois allongée sur son lit, chez elle… jusqu’au prochain.

20 mai 2006

Sans Feuille D'Origine, Mai 2006

Retour d’écriture automatique, sans queue ni tête, comme d’habitude, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, peut être pas du tout. Retour aux sources ? A l’origine, c’était mieux, c’est sûr. Le sort s’acharne peut être sur moi, je ne sais pas, je ne sais plus, je ne veux pas savoir. Elle se mord les lèvres, la langue, très fort, à s’en faire saigner, pour ne plus avoir ces images dans la tête, ces images qui la rendent ivre morte. Pas besoin de vin ou de tequila. Tout marche comme sur des roulettes, du moins pour le moment, mais quelles roulettes ? Je ne veux pas de roulettes, elle-même n’en a jamais demandé. Je ne sais que soupirer, je n’en peux plus de ces nuits insomniaques qui me laissent crevée, fatiguée, à en pleurer.

Ne rien voir ici, pas de messages cachés, juste étaler un peu de mon cerveau, un peu trop en ébullition ces temps-ci. Et tout ça pourquoi ? Il a plu un peu, j’ai même vu la foudre, c’était joli, tiède comme une pluie d’été, j’étais assise par terre, presque dehors, presque sous la pluie. Elle me manque tant, c’est pas croyable. Tout serait si facile si elle était près de moi… Il ne fait pas très beau, encore aujourd’hui. J’ai un peu faim. Les pies se battent, dehors, elles font beaucoup de bruit. Les chatons miaulent, mon ordinateur, sur mon bureau, ronronne, à défaut de Menzo qui court après les guêpes, dehors. Je ne sais pas quoi faire, peut être m’abrutir de lecture, occuper mon esprit sans relâche, écrire à en avoir mal aux mains, écouter de la musique à en avoir mal aux oreilles, dormir à en avoir mal aux rêves…

19 mai 2006

Il dort...

Il dort et son visage si lisse m’apparaît enfin, si doux à la lumière tamisée de l’ampoule dénudée. Il est serein, il dort, peut-être qu’il a un peu froid, je crois qu’il a la chair de poule. Ses lèvres sont un tableau vivant, une esquisse, elles m’appellent sans fin, inertes, soumises, offertes. Ses cils bordent ses yeux comme une parure soyeuse.

Je l’entends respirer… Il dort, on dirait un ange. Je l’entends respirer… Il dort, oui, je le sais, c’est un ange. Sa peau blanche frémit d’un mouvement soyeux, ses lèvres tendres sont bien dessinées. Elles sont pleines, paraissent douces, à les voir ainsi, inanimées. Une bouche d’ange qui dort, là, près de moi, et pourtant si loin… Une larme coule au bord de ses yeux, elle glisse et se déroule lentement sur sa joue mal rasée. J’aimerai bien la goûter…

Il dort. Ne faites pas de bruit. Oui, je le sais, c’est mon ange, et il ne peut pas m’entendre. Je le sais, seulement, j’ai un peu peur, et s’il m’entendait quand même ? Il ne sait rien de tout ça, lui si naïf, si candide, je l’ai déjà dit, un ange… Le drap qui le recouvre laisse échapper une épaule douce et blanche, une épaule vulnérable, qui appelle aux baisers. Je ne peux pas, il dort…

Juste un baiser, juste un. Je ne peux pas… Et s’il se réveillait ? Il me repousserait peut-être, me demanderait de partir, de ne plus le voir, plus jamais. Je ne pourrai le supporter. Perdue dans mes pensées, chaque soir, je le regarde dormir et dormir sans fin, priant Dieu pour que ses rêves le rapprochent de moi. Suis-je égoïste ? Je l’aime endormi, mon bel ange aux lèvres délicates, je le veux pour moi ainsi. Son épaule est douce, son visage serein, il ne saurait en être autrement.

Ma tête devient lourde à la voir ainsi assoupi, mes yeux se ferment, je lutte pour pouvoir le regarder encore et encore, je lutte contre ce maudit sommeil que j’exècre chez moi et que j’aime tant chez lui… J’ai si peur qu’il se réveille, mais non, il ne le peut pas. Il reste figé à jamais devant moi, si loin, si près, je ne sais plus… Figé sur mon écran, l’image ne se ternit jamais, ne s’éteint que lorsque je me décide enfin, les yeux se fermant d’épuisement, à presser le bouton off de mon ordinateur…

Et malgré ça, il reste là, imprimé dans mon cerveau si fatigué, en noir et blanc, en sépia ou même en couleur. Je le vois, il est là, il dort ; mes yeux sont fermés, comme les siens, mes lèvres s’entrouvrent, cherchant les siennes, en vain.

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